L’exclusion du monde du travail reconnue comme un préjudice indemnisable au titre de l’incidence professionnelle
La Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt confirmant que l’exclusion du monde du travail constitue un préjudice indemnisable au titre de l’incidence professionnelle. Cette décision marque une évolution jurisprudentielle importante en reconnaissant que la dévalorisation sociale ressentie par la victime suite à son exclusion définitive du monde du travail est distincte des pertes de gains professionnels futurs et du déficit fonctionnel permanent. Cet article examine les implications de cette décision et présente quelques exemples d’évaluation de ce préjudice.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 6 septembre 2022, a confirmé sa position selon laquelle l’exclusion du monde du travail constitue un préjudice indemnisable au titre de l’incidence professionnelle. Elle a précisé que ce préjudice se distingue également du déficit fonctionnel permanent. Auparavant, un arrêt du 7 mars 2019 avait créé une confusion en considérant que la privation d’activités professionnelles pouvait être indemnisée par le déficit fonctionnel permanent, confusion désormais écartée par cette décision.
Cette décision de la Cour de cassation s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle récente. En effet, la chambre criminelle avait reconnu pour la première fois, dans un arrêt du 28 mai 2019, la situation “d’anomalie sociale” dans laquelle se trouve une victime incapable de travailler. Par la suite, la deuxième chambre civile, dans un arrêt du 6 mai 2021, a pleinement consacré l’indemnisation du préjudice résultant de la dévalorisation sociale subie par la victime privée de toute activité professionnelle, au titre de l’incidence professionnelle.
L’évaluation du préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail reste une question délicate. Plusieurs critères peuvent être pris en compte pour individualiser cette indemnisation, tels que l’âge de la victime, l’investissement mis dans l’accès au travail auquel il faut renoncer, le vécu professionnel, les potentialités antérieures à l’accident, le degré de frustration généré par les tentatives infructueuses de s’intégrer dans le milieu du travail, ainsi que la fréquentation ou non d’un milieu social de remplacement, comme le bénévolat.
Quelques exemples jurisprudentiels peuvent illustrer l’évaluation du préjudice d’incidence professionnelle. Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Paris le 29 juin 2020, une victime âgée de 41 ans s’est vue allouer une indemnisation de 50 000 € en raison de l’obligation d’abandonner l’exercice de sa profession et de renoncer à toute activité professionnelle. Dans une autre affaire jugée par la Cour d’appel d’Angers le 29 juin 2021, une victime âgée de 24 ans et n’ayant jamais travaillé a obtenu une indemnisation de 50 000 € en raison du désœuvrement complet et de la dévalorisation sociale subie. Ces exemples soulignent la nécessité d’indemniser distinctement le préjudice d’incidence professionnelle des pertes de gains professionnels futurs et du déficit fonctionnel permanent.
La décision de la Cour de cassation reconnaissant l’exclusion du monde du travail comme un préjudice indemnisable au titre de l’incidence professionnelle constitue une avancée significative dans la protection des victimes. Cette reconnaissance met en évidence l’importance de prendre en compte la dévalorisation sociale ressentie par la victime et de l’indemniser distinctement des autres préjudices. Les critères d’évaluation et les exemples jurisprudentiels présentés dans cet article permettent aux avocats et aux juges de mieux appréhender la mesure de ce préjudice et d’assurer une réparation intégrale aux victimes d’exclusion du monde du travail.